dimanche 6 mars 2016

Les opposants à Notre-Dame-des-Landes : entre incompétence, mensonges et contre-vérités - S01E02 Sur la piste du "rapport"

Episode précédent : S01E01 Les PPP font la loi

Deuxième épisode de notre série sur les arguments foireux des opposants à l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, aujourd'hui consacré à cette histoire de "rapport" de la Dreal dont la révélation par le Canard Enchaîné (que j'adore et que je lis toutes les semaines, bisous à eux) le 17 février 2016 sonnerait le glas du projet, en apportant la preuve définitive et incontestable de sa nocivité et de son inutilité. Sa publication a généré un tel buzz, que même 15 jours plus tard elle continue de tourner sur les rézosociaux. C'est bien simple, sur l'échelle du buzz qui va de 1 à 10, je pense que cette histoire mérite un 11.



Et que contient ce "rapport" ? Selon la Dreal,

"L'allongement de la piste de l'aéroport de Nantes-Atlantique ne présente pas de risque pour la faune de la réserve naturelle (du Lac de Grand-Lieu). Au contraire, elle garantit la préservation des zones humides qui participent à l'équilibre écologique de la réserve face à l'urbanisation de l'agglomération nantaise".

Aujourd'hui, déjà, "le trafic aérien n'a pas d'impact négatif. La faune de la réserve a intégré cette activité continue et routinière comme un élément à part entière de l'environnement du lac", écrit le chef du service ressources naturelles et paysages de la Dreal.

Donc nous avons là le "smoking gun", la pièce maîtresse qui montre que l'Etat a volontairement caché des informations en défaveur du projet d'aéroport, dans le cadre d'un vaste complot ourdi par les valets du capitalisme et les serial-bétonneurs de Vinci.


Sauf qu'en fait non. Explications.


Premier point : ce "rapport" n'en est pas un, d'où mes guillemets. En réalité il s'agit, non pas d'un rapport, encore moins d'une étude comme l'indique le Canard, mais d'une simple note de deux pages (autrement dit, une feuille à en-tête recto-verso, vous pouvez vérifier : c'est dans l'article). Un rapport ou une étude est quelque chose de structuré et de fouillé, avec des sources, des tables, des graphiques, etc., et croyez-moi ça fait bien plus que 2 pages même pour les sujets les plus simples. Rien qu'avec la page de garde, le résumé, les tables des matières/tableaux/figures, les références, les sources, etc., on atteint les 10 pages dans le meilleur des cas.

Voilà pour la forme, ce qui en soi n'invalide en rien son éventuel contenu, mais relativise sa portée. Maintenant, parlons un peu du fond.

De par sa nature et sa concision, une note ne saurait exprimer autre chose que l'avis de son rédacteur ou de celui ou ceux dont la note rapporte les propos. Ici il s'agit d'un fonctionnaire de la Dreal, qui est une administration régionale comme son nom l'indique, dont le titre est "chef du service ressources naturelles et paysages",  On peut donc partir du principe qu'il sait de quoi il parle pour tout ce qui concerne les questions environnementales locales. Et dans le cas contraire, qu'il tient ses informations d'autres personnes compétentes dans le domaine. Il pourrait par exemple s'agir de Loïc Marion, chercheur au CNRS de Rennes et ancien directeur de la réserve naturelle du Lac de Grand-Lieu, qui s'exprimait dans des termes extrêmement similaires dans sa lettre adressée le 25 octobre 2015 au Premier ministre (lien vers PDF), tant sur l'impact actuel de l'aéroport que sur les menaces que son déménagement ferait peser sur la réserve. Publication qui avait elle aussi généré un certain buzz.

Le Lac de Grand-Lieu

On a donc un ou plusieurs experts de la question environnementale qui donnent leur avis sur une question environnementale, fort bien et cela constitue un argument solide sur la question de savoir si l'aéroport ACTUEL impacte l'environnement autour d'une zone Natura 2000 (nous reviendrons là-dessus). En revanche, il me semble que ni l'auteur de la note de la Dreal ni Loïc Marion ne sont spécialistes en urbanisme. Donc quand ils affirment que le déménagement de Nantes-Atlantique vers Notre-Dame-des-Landes sonnerait le signal de départ de l'urbanisation autour du Lac de Grand-Lieu, cette affirmation a tout de l'argument d'autorité. Ce qui n'est pas le cas du maire de Saint-Aignan-de-Grand-Lieu, dont l'une des missions est justement de faire respecter les réglementations urbanistiques, quand il affirme le contraire :

Pour toutes ces raisons, le maire de Saingt-Aignan réfute la thèse selon laquelle le déménagement de l’aéroport de Nantes Atlantique se traduirait par une urbanisation et une imperméabilisation des terres « préjudiciable aux équilibres écologiques de la réserve ». « Nous le réfutons d’autant plus que les zones urbanisées de la commune ne peuvent pas s’étendre du fait des ENS (Espaces naturels sensibles) en rives du lac organisés depuis 1996, et des EPR (Espaces proches du rivage) issus de la loi Littoral ».
Entre un expert de l'environnement et un expert de l'urbanisme qui se prononcent tous deux sur une question d'urbanisme, qui doit-on prendre le plus au sérieux ? Avantage au maire de Saint-Aignan sur la question, il n'y a aucune raison d'affirmer que le déménagement de l'aéroport mettrait fin aux réglementations qui protègent déjà les abords du lac de l'urbanisation et de l'artificialisation des sols.


Donc en gros, l'essentiel qu'on doit retenir de cette note, qui ne traite que de l'aéroport actuel et pas du projet d'AGO, est que celui-ci ne menace pas l'environnement fragile d'une zone Natura 2000, même en cas d'allongement de la piste (hein ?). Or voici ce que retient le WWF de cette note :
Ici on est en plein non sequitur. Il faut croire que personne, pas même les meilleurs, n'est à l'abri des sophismes les plus basiques. On passe de l'affirmation "NTE n'a pas d'impact écologique majeur" à "NDDL est une aberration écologique". Sublime. Soit dit en passant, si un aéroport jouxtant immédiatement un écosystème fragile n'a pas d'impact sur celui-ci, et au contraire le "protège", pourquoi n'en serait-il pas de même avec d'autres aéroports, existants où à construire ? Avec cet argument on frise les limites de l'absurde.

Mais attendez, il y a mieux ! La note de la Dreal évalue l' "impact de l'allongement de la piste de l'aéroport de Nantes-Atlantique sur la RNN de Grand-Lieu et les zones humides périphériques" et conclut à un "impact très minime en comparaison de ceux issus de l'urbanisation prévisible des zones humides aujourd'hui préservées". Déjà, ça ne veut pas dire zéro impact, mais seulement un impact inférieur à des menaces dont nous venons de juger du caractère hypothétique, on est donc loin du "pas d'impact" avancé par certains opposants. Mais surtout, qui aujourd'hui propose d'allonger la piste de NTE ? Absolument personne ! Au contraire, non seulement les opposants affirment que la piste actuelle est bien suffisante pour accueillir tous types d'avions même les plus gros (ce qui est sans doute le cas), mais de plus proposent pour régler le problème principal de cette dernière, à savoir son orientation nord-sud alignée sur le cœur de l'agglomération nantaise, un projet alternatif  de nouvelle piste est-ouest (projet qui fera l'objet d'un article dédié).


En conclusion, nous avons là un rapport qui n'en est pas un, qui évalue l'impact écologique d'un projet que personne n'envisage (et pour cause vu qu'il ne règle aucun des problèmes de l'aéroport actuel), qui cumule argument d'autorité et pente glissante sur la question urbanistique, qui est instrumentalisé pour juger de la pertinence et de l'impact d'un projet dont il ne traite absolument pas, et dont on gonfle l'importance pour alimenter une théorie du complot au plus haut sommet de l'Etat à grands coups de sophismes. Une petite note sur NTE est devenu un rapport à charge contre NDDL. Bref, un magnifique mensonge.


Sur l'échelle du bullshit qui va de 1 à 10, je pense que cette histoire mérite un 11.



Mise à jour 10/03/2016 : Merci à Bertrand L. pour l'info sur  le PDF du rapport, que je copie ici-même :


mardi 1 mars 2016

Les opposants à Notre-Dame-des-Landes : entre incompétence, mensonges et contre-vérités - S01E01 Les PPP font la loi

Episode précédent : Introduction

(Et oui, le titre de ce billet est pourri, faudra vous y habituer parce que ça risque de continuer, et je préfère vous prévenir tout de suite : j'ai pire en stock).


Commençons donc cette série par le sujet qui m'a convaincu de me jeter dans le bain : le contrat liant l'Etat à l'exploitant du futur aéroport (à savoir Vinci, qui fera sans doute l'objet d'un autre article). Une des conneries les plus anciennes et les plus fréquemment colportées par les opposants au projet est que, selon eux, il fait l'objet d'un contrat de type Partenariat Public-Privé, PPP pour les intimes.

Les PPP, vous savez, c'est cette saloperie néolibérale d'inspiration blairiste qui consiste à faire construire et gérer par des entreprises privées des biens d'intérêt public, en échange d'un loyer versé durant parfois plusieurs décennies à l'entreprise (qui fait souvent office d'exploitant par la même occasion). Ces PPP sont le symptôme de la consanguinité qui règne trop souvent entre les cabinets des exécutifs locaux ou nationaux, et les conseils d'administration des multinationales qui en bénéficient. Les contrats sont bien souvent léonins, concoctés côté privé par des avocats spécialisés, et signés côté public par des décideurs incompétents et/ou noyés sous la complexité volontaire des clauses dont le seul but est d'assurer une rente à peu de frais selon le principe privatisation des profits/socialisation des pertes. Les PPP sont pour les collectivités de la dette déguisée (on transforme les intérêts de l'emprunt en loyer), une façon bien pratique d'afficher un bilan financier présentable à l'approche d'une élection. Et si par malheur on perd ces élections, la gestion du merdier en revient à la nouvelle majorité qui ne pourra s'en dépêtrer tant les contrats sont verrouillés (*), ce qui ne manquera pas de constituer un thème de campagne en or pour la néo-opposition en soif de reconquête.

Mais revenons à notre aéroport. L'un des arguments majeurs des opposants pour dénoncer le "coût ruineux" du projet serait que le contrat liant l'Etat à l'exploitant est de type PPP. J'en veux pour preuve une simple recherche "NDDL PPP" sur Twitter ou Google.


Sauf que c'est faux, et c'est facile à vérifier, directement sur le site du syndicat mixte aéroportuaire créé pour l'occasion : le contrat est une Délégation de Service Public (DSP).

LA DÉLÉGATION DE SERVICE PUBLIC ET LE FINANCEMENT

L'État maitre d’ouvrage assure le pilotage et le suivi de l'ensemble de l'opération. La partie aéroportuaire, réalisée dans le cadre d’une délégation de service public, a été confiée à la société concessionnaire Aéroports du Grand Ouest, filiale de VINCI Airports, après une procédure publique de mise en concurrence. Elle est chargée par l'État, sous le contrôle des collectivités territoriales, de financer, concevoir, construire, exploiter et maintenir le futur aéroport du Grand Ouest. Le contrôle des collectivités s’exerce dans le cadre de la mission statutaire du Syndicat Mixte Aéroportuaire au sein du Comité de suivi des engagements de suivi stratégique de la concession, instance crée par décret du 5 avril 2012 et présidée par le président du Syndicat Mixte Aéroportuaire.

Alors je veux bien admettre qu'on ait du mal à comprendre toutes ces subtilités juridiques (moi le premier, IANAL) et penser que le terme PPP s'applique à tous les types de contrats entre public et privé. Par contre, quand cet argument vient d'opposants qui prétendent bien connaître le dossier (ou qui comprennent et présentent les choses de travers), ça s'appelle de l'incompétence (premier mot-clé de cette série : check). Et à partir du moment où quelqu'un pointe ton erreur de façon factuelle et courtoise, la moindre des choses c'est d'en tenir compte, ce qui n'est visiblement pas le cas de cet opposant dont l'incompétence se double ici d'une crasse mauvaise foi vu sa propension à répondre à côté de la plaque (oui le name & shame saymal, mais les opposants ne se gênent pas pour en user et abuser alors je ne vois pas pourquoi je prendrais des gants) :

https://twitter.com/LaurentOpsomer/status/704060916904624133





Donc je vais vous expliquer de façon certes un peu simplifiée mais sans travestir la réalité la différence majeure entre PPP et DSP :
  • La PPP, c'est l'opérateur privé qui possède l'infrastructure et l'Etat qui lui verse un loyer pour l'utiliser (sans compter les frais d'exploitation divers et variés), jusqu'à expiration du contrat où l'Etat en devient enfin propriétaire, après avoir lâché une fortune en intérêts qui feraient passer le moindre crédit conso revolving pour un investissement de bon père de famille.
  • La DSP, c'est l'Etat qui possède l'infrastructure et en délègue l'exploitation contre versement d'une redevance pendant toute la durée du contrat, au terme duquel l'Etat est libre de choisir un autre concessionnaire. Le délégataire est responsable de l'entretien voire de l'amélioration de l'infrastructure pendant toute la durée du contrat, et se rémunère sur son exploitation.
En gros, dans une PPP l'Etat est locataire et usager de l'infrastructure qui appartient au privé, dans une DSP c'est exactement l'inverse. Autrement dit, le risque financier pour l'Etat et les collectivités locales est limité aux seuls coûts initiaux et pas à l'exploitation de la plateforme, qui est du seul ressort du délégataire. Confondre PPP et DSP, c'est confondre propriétaire bailleur et locataire.

Et vous savez ce qui est le plus drôle dans cette histoire ? C'est que la plupart des aéroports français sont soumis au même genre de contrat de type DSP (en CSP, bien souvent), et en premier lieu ... Nantes-Atlantique, géré par Vinci ! Vous savez, cet aéroport formidable dont les opposants ne cessent de nous vanter les excellents classements internationaux. Ce qui est une bonne affaire pour l'Etat à NTE deviendrait donc une arnaque et une spoliation à NDDL ?

Ceci étant dit, je ne connais pas les détails du contrat de délégation de l'AGO, et il y a sans doute des critiques légitimes à faire sur ce point, on sait le vice qu'ont les multinationales à cacher le diable dans les moindres détails de ce genre de contrat, mais si on veut en débattre sereinement alors la moindre des choses est de partir sur de bonnes bases en évitant de propager et de perpétuer de fausses informations qui nuisent à la bonne compréhension du problème.


Mise à jour : Merci à Julien pour le lien vers le décret approuvant la convention Etat-AGO !

https://www.legifrance.gouv.fr/eli/decret/2010/12/29/DEVA1030457D/jo/texte



(*) Christiane Taubira et Jean-Yves Le Drian en savent quelque chose (coucou la prise électrique à 1000 euros)


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